Tuesday, May 26, 2009

Michèle Pierre-Louis demande de mettre fin aux abus contre les Haitiens en territoire voisin

Haiti-R.Dominicaine : Michèle Pierre-Louis demande de mettre fin aux abus contre les Haitiens en territoire voisin

lundi 25 mai 2009

Propos de la première ministre Michèle Pierre-Louis, le 21 mai 2009, à l’occasion de l’investiture au ministère des affaires étrangères de la partie nationale de la Commission mixte haitiano-dominicaine

Document soumis à AlterPresse le 23 mai 2009

(Read the original article here)

Je ne saurais procéder ce matin à l’ouverture des travaux de la première réunion de la Partie Haïtienne de la Commission Mixte Haitiano-Dominicaine sans évoquer d’entrée de jeu les problèmes qui se posent depuis quelques semaines de part et d’autre de la frontière et qui méritent une attention particulière.

S’il est vrai que le rôle de la Commission Mixte est de prendre en compte les questions d’Etat entre les deux pays qui se partagent l’île et de les porter à un niveau de dialogue et de compréhension réciproque, les évènements récents demeurent encore l’expression de sentiments complexes et des comportements qui en découlent, qui ont marqué et marquent encore les relations entre les 2 pays.

Les agressions répétées, les assassinats gratuits, les harcèlements, les rapatriements intempestifs, les incidents frontaliers dont sont victimes nos concitoyens et concitoyennes interpellent notre conscience et questionnent notre humanité. Cela n’a que trop duré. C’est pourquoi j’ai le ferme espoir qu’en abordant avec sérénité les multiples aspects de nos relations avec nos voisins qui seront traités au sein de la partie haïtienne de la Commission Mixte, et en souhaitant que la partie dominicaine en fasse autant, nous pourrons ensemble assainir le climat et nous engager dans un nouveau paradigme de coopération.

Sachant que je devais procéder au lancement des travaux de la Partie Haïtienne, mon intérêt pour l’histoire m’a portée à revisiter le Dr. Jean Price-Mars qui dans son importante étude « La République d’Haïti et la République Dominicaine – Les aspects divers d’un problème d’histoire, de géographie et d’ethnologie », avait fait le constat suivant : « Dans la différence des origines démographiques de l’une et l’autre colonie – différence de degrés et non d’espèces – est incluse l’une des données essentielles du problème dont se coloreront les relations haitiano-dominicaines quand dans la genèse des siècles naîtront plus tard les deux entités nationales qui se partageront la domination des terres dont jadis s’enorgueillirent les Couronnes d’Espagne et de France. »

Et plus loin :

« L’Histoire dira la cruauté des éléments humains dans le brassage des contacts multiséculaires – malgré les reniements de style que démentent le miroir brisé des amalgames somatiques, la bigarrure indéfinie des nuances et l’instabilité déconcertante des formes.

… Dans le processus des événements apparaîtra en dernière analyse, le spectre grimaçant d’une perspective de destruction de l’une ou l’autre nationalité par l’une ou l’autre communauté dans la fascination des doctrines de supériorité de races, de classes ou de culture. »

C’était en 1953. Le Dr. Price-Mars avait laissé son poste à la Direction du Ministère des Relations Extérieures de l’époque en 1946, pour aller inaugurer la nouvelle Mission haïtienne transformée en Ambassade Extraordinaire à Ciudad Trujillo. Il resta deux ans à la tête de cette Mission et c’est au cours de ce séjour qu’il commença à amasser les documents qui lui serviront plus tard à écrire son livre. Ses constats sont sans appel, mais ils restent liés à un moment historique précis. Aujourd’hui, 56 plus tard où en sommes-nous ?

Faut-il rappeler que les relations avec la République Dominicaine sont parmi les plus anciennes de l’histoire diplomatique d’Haïti ? Et malgré les soubresauts qui la caractérisent et les traces douloureuses laissées par l’histoire dont Price-Mars nous rappelle l’origine, un certain nombre d’accords récents ont été des tentatives de rapprochement et de coopération.

Rappelons en passant l’Accord de coopération signé entre les 2 Etats en mai 1979 et plus récemment encore la décision prise par les Présidents Préval et Balaguer de créer en 1996 la Commission Mixte Haitiano-Dominicaine comme instrument susceptible d’instituer le dialogue et le respect mutuel dans les relations de coopération. Cette commission a tenu 4 réunions alternativement à Santo Domingo et à Port-au-Prince et 10 thèmes d’intérêt réciproque ont été abordés parmi lesquels le commerce et l’investissement, la sécurité, le tourisme et bien sûr les questions migratoires et frontalières.

La dernière session s’est tenue en octobre 1999 à Santo Domingo, et depuis les consultations intergouvernementales ont été suspendues. Je salue donc l’initiative du Président Préval de relancer les travaux de la Commission Mixte que nous inaugurons aujourd’hui, et je me réjouis de la composition de la partie haïtienne qui rassemble, aux côtés des Ministres et hauts fonctionnaires de l’Etat, des représentants du secteur privé, de la société civile et du secteur syndical.

Je proposerais, en accord avec le Ministre des Affaires Etrangères et tous les membres de la Partie Haïtienne, que nos travaux commencent par faire le bilan de la coopération haitiano-dominicaine dans ses aspects protéiformes, et de définir par la suite un plan, un calendrier et des modalités de travail pour les mois à venir que nous proposerons à la Partie Dominicaine, en tenant compte des préoccupations de l’heure. Je souhaite que nous parvenions à dépasser les pronostics pessimistes du Dr. Price-Mars et que les deux Etats, au plus haut niveau, montrent que l’entente qui existe actuellement entre les deux chefs d’Etat se répande dans les deux sociétés, effaçant les scories qui habitent encore un certain imaginaire imprégné de barbaries coloniales.

Je cite souvent le Président Mandela que j’ai écouté dire un jour alors que je visitais l’Afrique du Sud en 1996, « nous n’avons pas le droit d’oublier le passé, mais nous avons le devoir de le transcender. »

Il nous faut élever le débat et aborder avec sérieux, dans le respect mutuel, les problèmes auxquels font face les deux Etats dans leurs relations de part et d’autre de l’île, de manière à relever les défis et à définir un avenir meilleur et harmonieux pour les deux peuples.

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