Tuesday, April 14, 2020

L’église de Milot qui vient de prendre feu est un monument unique

[I was interviewed by Ayibo Post about the terribly sad devastation by fire of the church adjoining the Palais Sans-Souci in Haiti's Milot, outside Cap-Haïtien. Both structures sit beneath the magnificent Citadelle Laferrière, built by Henri Christophe between 1805 and 1820. MD]

L’église de Milot qui vient de prendre feu est un monument unique 

Ayibo Post


(Read the original article here.)

L’église de Milot, patrimoine historique du pays construit entre 1810 et 1813, a pris feu ce 13 avril 2020, l’année de la célébration du bicentenaire de la mort du roi bâtisseur

Le roi Henri 1er doit se retourner dans la tombe dans laquelle il repose depuis 200 ans. Son église, la chapelle royale de Milot classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, a connu un incendie ce matin du 13 avril 2020. Les préparations pour la commémoration de la mort du roi prennent donc un grand coup. Le patrimoine historique du pays aussi.

« C’est désolant, regrette Erol Josué, directeur du Bureau national d’ethnologie (BNE). Je connais la chapelle, je vais souvent à Milot dans le cadre de mon travail sur la préservation du patrimoine immatériel. C’est une perte importante. »

Télémaque Henri Claude, l’un des maires de la commune de Milo, déplore aussi cet incident regrettable. « Cela s’est passé entre minuit et deux heures du matin, estime-t-il. La population a donné l’alarme, l’église était déjà en feu. Maintenant nous ne pouvons plus parler de chapelle de Milot, mais de ruines. Nous avons fait un grand pas en arrière »
La commune de Milot ne dispose d’aucun service d’incendie. Les camions des sapeurs-pompiers qui ont accouru sur les lieux venaient du Cap-Haïtien, à plus de 15 kilomètres de la commune.

« Les pompiers ont fait de leur mieux, assure le maire. Mais quand ils sont arrivés, il n’y avait pas moyen d’éclairer la scène pour qu’ils puissent mieux travailler. De plus, l’église est située en hauteur, et les pompiers ne pouvaient pas amener l’eau jusque-là. »

Incendie criminel ?

Il est encore trop tôt pour déterminer l’origine de l’incendie. Mais toutes les pistes sont ouvertes. « En général, c’est une zone où les gens restent tard. À cause du couvre-feu imposé pour le coronavirus, dit Télémaque Henri Claude, il n’y avait pratiquement personne aux alentours de l’église à cette heure. Tout le monde était rentré. Nous ne pouvons donc pas savoir ce qui s’est réellement passé, et c’est une enquête qui pourra le déterminer. Mais ce serait regrettable que le feu soit volontaire. »

Frédérick Mangonès est architecte. Il a passé plus de 20 ans de sa carrière à restaurer la citadelle Laferrière et le Palais Sans-souci, classés au patrimoine mondial de l’humanité. « On ne peut évidemment pas encore déterminer ce qui s’est passé, dit-il, mais il y avait une installation électrique dans le dôme. Il est construit en bois. Mais il n’y avait même pas un extincteur dans l’église ; cela pose le problème de la sécurité dans nos monuments historiques. »

Selon le maire de Milot, il y a des agents de sécurité sur le site, car l’église fait partie du Parc national historique, dans lequel on retrouve aussi la citadelle Laferrière et le palais Sans Souci.

Des actes de vandalisme auraient aussi été dirigés contre la citadelle Laferrière, rapporte Erol Josué, ce qui lui fait craindre un acte prémédité. « La porte vitrée du musée de l’artillerie, l’un des plus grands de la Caraïbe, a été brisée samedi soir », informe le directeur du BNE.

Le dôme, un bijou d’architecture

L’architecte Frédérick Mangonès mêle sa voix au concert de dénonciation de l’incendie. « L’église de Milot est la seule dans le pays qui a cette structure circulaire. Le dôme qui la recouvre est particulièrement bien fait, même si ce n’est pas l’original. »
« Pour l’époque où le dôme a été construit, c’était un vrai tour de force, comme beaucoup d’autres aspects de l’architecture du palais Sans Souci. »

Ce premier dôme était en très mauvais état. Les Américains, sous l’occupation, et peu avant leur départ, l’ont reconstruit. « Ils ont fait du bon travail, et l’ont remplacé par une structure moderne, en bois, dit-il. Cependant, je crois qu’il était disproportionné par rapport à la base. L’architecte qui a construit le palais Sans Souci est de toute évidence un professionnel de premier ordre. Je ne crois pas qu’il avait construit un dôme aussi grand. »
Le dôme de l’église allait bientôt être restauré. « Il y a consensus qu’il fallait le restaurer, continue Frédérick Mangonès. Mais le débat portait surtout sur ses proportions. Personnellement, je pensais qu’il en fallait un nouveau, adapté proportionnellement à la base. »

L’église de Milot, en plus de sa portée historique, aurait une signification ésotérique dans son architecture. L’ingénieur Claude Prépetit, dans un article, a fait une « étude symbolique », c’est-à-dire une « analyse rigoureuse des nombres et des formes sacrés habilement dissimulés » dans l’architecture de l’église. L’ingénieur, connu surtout pour ses travaux sur les séismes, se demande si l’église de Milot n’est pas « un catalyseur de la conscience humaine et des énergies de la nature qui émettait des ondes de formes positives et bénéfiques au royaume du roi Henri. »

Restaurer le patrimoine

L’incendie de l’église Milot met la lumière sur les faiblesses du pays en termes de protection du patrimoine matériel et immatériel. L’UNESCO et l’Institut de sauvegarde du patrimoine national (ISPAN) ont un programme en commun de restauration de certains sites comme le Parc national historique.

« Dans les autres pays de la région, les sites sont mis en valeur, dit Frédérick Mangonès. Chez nous, les moyens mis à la disposition de l’ISPAN sont une goutte d’eau comparée à la mer de ce qu’il faut réaliser. L’ISPAN a fait un inventaire des sites du pays. Il ne s’agit pas seulement des architectures militaires, mais aussi des systèmes civils comme les aqueducs, etc. »

Erol Josué croit que les responsables de l’État ont un grand rôle à jouer pour éviter que ces incidents se reproduisent. « Nous nous occupons tout le temps de politique, nous n’allons pas au rythme de la société, pour grandir, dit le directeur du BNE. Il y a un lien entre l’ignorance des gens et la protection du patrimoine. Cet incident nous affaiblit encore plus. Nous avons beaucoup de sites historiques, mais nous n’avons pas assez pour qu’ils soient détruits. »

Le Parc national historique est important pour le secteur déjà affaibli du tourisme. Michael Deibert, un journaliste, auteur et professeur invité à l’université de Lisbonne a travaillé pendant plus de 20 ans en Haïti. Il croit que l’importance de ce parc va au-delà du pays. « La citadelle Laferrière et le Palais Sans Souci sont parmi les monuments historiques les plus importants de l’hémisphère Nord », dit-il.

« C’est là que l’abolition de l’esclavage a commencé en Amérique, continue-t-il. Visiter le nord d’Haïti, et comprendre le courage de ceux qui se sont révoltés contre ce système infernal est une profonde et bouleversante expérience. »

Widlore Mérancourt a participé à ce reportage.

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