Wednesday, February 11, 2009

Lettre ouverte de la famille Robert Marcello

Haïti-Kidnapping

Lettre ouverte de la famille Marcello

Le directeur du Conseil National des Marchés Publics (CNMP), Robert Marcello, a été enlevé le 12 janvier dernier à Port-au-Prince

dimanche 8 février 2009

(Read the original article here)

« Si Bondye ba n la pawòl Se pou n kapab pale Pou n di tou sa n dwe di Depi n ap di sa ki vre San ke n pa blese pèsòn » Ansy Dérose

Depuis 24 jours nous attendons le retour d’un époux, d’un père, d’un frère, d’un oncle, d’un cousin, mais aussi d’un ami cher.

Après avoir frappé à bien des portes et sollicité nombre d’inconnus, nous avons décidé de lancer un appel à la population haïtienne entière. Au delà de ceux qui ont commandité le rapt, de ceux qui s’en réjouissent et/ou en bénéficient, nous voulons toucher les voisins du lieu où il est détenu, ceux qui ont vu ou entendu, ou ceux qui n’ont qu’un simple soupçon.

Personne ne peut se mettre à notre place. Je ne vous le demande pas. Et alors que j’écris ces lignes je perçois les limites de mon message. Les mots ne sauraient exprimer notre chagrin, nos peurs et notre désespoir. Un évènement pareil vient souligner le caractère insulaire de tout être humain : des îles qui s’effleurent

Se voir sans se toucher, Se toucher sans se voir, Se parler sans se comprendre.

Je ne vanterai pas les qualités de l’homme. Pour qui le connaît ou a collaboré avec lui, ce serait superflu. Je veux regarder au delà, à la base : l’humain. L’homme regardé de haut, incompris par certains parce qu’il traitait ses employés et collaborateurs, les plus modestes, et les habitants de l’immense bidonville qui s’étale non loin de notre propre quartier avec autant de considération que lui même. Nous, ses filles, avons été élevées ainsi. Plusieurs membres de notre famille déjà, au lieu de se lancer dans le secteur privé des affaires, ont choisi une carrière dans l’humanitaire : à grande ou petite échelle. L’intérêt que Robert porte à son prochain le rend parfois malade d’inquiétude.

Il est un poto mitan : celui sur qui on peut compter en toutes circonstances, celui qui se réjouit sans amertume du bonheur et du succès des autres, qui répète à l’envi : "Je me respecte et je respecte les autres afin de dormir tranquille le soir". Je crois qu’en bientôt 65 ans d’existence, il y a réussi.

Si un reproche peut lui être fait, c’est d’avoir, malgré son pragmatisme légendaire, été trop naïf envers l’Etat haïtien, d’avoir trop cru à la décence des uns et des autres ; d’avoir cru, même parfois par delà ses négations, qu’une autre Haïti est possible. Il croit que chacun sur cette île a droit à une vie décente. J’ai eu 25 ans le 12 Janvier 2009. Le jour du rapt : Bon Anniversaire Rose !

Jamais je n’ai pensé être un jour de ces femmes et filles qui dans des stades et sur des places publiques au Chili, en Argentine et en Espagne défilent avec une photo dans un cadre. Mais j’y suis prête. La vie m’y a préparée.

En un quart de siècle j’ai vu des soulèvements populaires, des coups d’état, des changements de régime et des morts à en perdre le décompte. Pour parodier un homme illustre, j’ai vu une dynastie dictatoriale prendre fin, un mur s’effondrer, un million d’hommes périr en un mois, un homme entrer triomphant à Pretoria, un Lider Maximo prendre sa retraite et une famille noire à la maison blanche… et tant de choses encore.

Je ne reculerai pas devant ma destinée. Si je dois passer des heures au soleil, une photo en main, je le ferai. Pas parce que j’espère en la justice haïtienne, pas pour crier réparation ou vengeance, mais tout simplement pour lui. Parce qu’il le mérite. Car si les rôles étaient inversés, cet homme aurait marché jusqu’en enfer pour nous. Je n’ai donc pas le droit d’abandonner.

Nous lutterons, nous crierons jusqu’à ce que nous ayons un dénouement.

Entre temps, deux autres drames sont venus frapper notre famille. Ma tante, après deux ans d’une lutte acharnée contre le cancer, est partie sans même savoir que son frère avait disparu. Jusqu’aux derniers moments elle demandait : "Où est Robert ? Ca fait des jours qu’il ne m’appelle pas... ». Nous procéderons aux funérailles sans Robert.

Mais je crois que nous tous, même dans notre détresse, craignons au retour de mon père la question fatale :« Comment va Gilberte ? »

Rose Marcello 5 Février 2009 Montréal, Canada

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