Hommage a Préfète Duffaut
Dr Frantz Large
Tous ceux qui se rendent a la ville de Jacmel connaissent cet endroit précis de le route ou, tel un flash leur est donnée une première vue du lieu ou ils se rendent : Jacmel.
Oui c’est bien cela, un flash. Baignés de soleil, les collines, les pâtés de maison, et, bien évidemment ce qui baigne tout, ce qui explique tout : la Mer
« Un peuple prisonnier de la mer » disait Barthes au sujet de l’Iphigénie de Racine.
A Jacmel, la ville natale de Préfète, tout est prisonnier de la Mer : on l’entend gronder la nuit, lorsque tos les autres bruits se sont tus. C’est d’elle que vient la vie, mais c’est d’elle également que peut venir la mort.
Les figures architecturales de la Mer, aussi impressionnantes que fugaces, auront laissé peut être leur empreinte a la ville, traversée d’invraisemblables rues en escaliers, s’efforçant par deux bras de ceinturer la mer, et ne réussissant qu’a rendre cette dernière encore plus bouillonnante, encore pus incontrôlable.
Tout dans la vie du peintre jacmeilien Préfète Duffaut, gravite autour de la mer.
Il vient comme moi de Cyvadier, ou l’air est saturé du sel de la mer, et ou un escalier construit par mon oncle Felder Large ( parrain du mariage de l’artiste ) permet d’avoir accès a la mer toute proche. C’est d’ailleurs l’un des fils de Felder , Michel, qui , aux dires de Préfète, lui aura donné, tout petit , sa première leçon de dessin.
Il a perdu sa mère très tôt. Comme tout le monde à Cyvadier vit de la mer, on lui a appris à faire des bateaux.
L’expérience aidant, le groupe dont il fait partie reçoit davantage de commandes, et il se retrouve, par la force des choses , à l’ ile de la Gonâve pour satisfaire à l’une d’ elles.
Et c’est la que l’histoire commence
L’histoire ou la Légende ? Qu’’est ce qui est l’un et qu’est ce qui est l’autre ?
Apres tout qu’importe ?
Un soir à l’ile de la Gonâve, une belle dame lui est apparue, et lui a demandé de lui peindre un autel à son Eglise.
Oui….il sait peindre. S’est il souvenu des leçons de Michel ? Sont-ce les illustrations qu’il trouve dans les livres ? La vérité est qu’il passe tous les moments de liberté que lui laisse la construction des tableaux à couvrir de dessins ses cahiers. Ceux qu’il trouve bien, il les colle sur les murs de sa cahute.
Oui il sait peindre, et à la Belle Dame il peindra son autel. Lors de mon dernier voyage pour une journée de consultations a l’Anse a Galets, je l’ai cherché cet autel. Je promets de le faire avec plus d’attention la prochaine fois.
Préfète a répondu sans arrière pensée à la demande de la Belle dame, mais celle-ci n’oubliera pas ce geste.
A son retour a Cyvadier, Préfète apprendra que des étrangers lui ont acheté ses petits dessins.
A coté des billets , il y a une enveloppe avec la dedans une adresse à PAP : le Centre d’Art.
On est en 1944 : Préfète vient d’avoir 21 ans.
La fantastique aventure vient juste de débuter.
Deux théories s’affrontent alors au Centre d’Art, une école d’art fondée par Dewitt Peters , un objecteur de conscience d’origine hollandaise envoyé par le gouvernement américain pour apprendre la peinture aux haïtiens
D’abord la thèse originale de Dewitt , qui semble être celle d’artistes haïtiens comme Maurice Borno : apprendre aux haïtiens intéressés aux arts plastiques à discipliner leur talent a l’intérieur des limites rigides de l’art classique.
Et puis , il y a la thèse de Selden Rodman, vice président du Centre d’Art : n’imposer aucune limite à l’imagination des artistes, leur fournir uniquement les voies et moyens de s’exprimer totalement.
Bien heureusement c’est a Selden Rodman que va être confié le soin de la décoration des murs de Cathédrale Sainte Trinité.
Pourquoi les murs de l’église épiscopale ? A ce que m’a rapporté Selden Rodman, on aurait eu d’abord le projet de décorer les murs de la cathédrale de PAP. L’idée- qui aura constitué toute sa vie l’obsession de Selden Rodman- était d’avoir un nouveau Rinascimento , de faire de la cathédrale de PAP l’équivalent de la Santa Maria della Rovere de Florence, des Obin Benoit Bazile Duffaut les nouveaux Giotto della Francesca, Ghirlandajo et Botticelli.
Ceci dit le père Froisset ne l’entendait pas de cette oreille ; que voulez vous mettre sur les murs de ma cathédrale ? Vociféra ce prélat que les signes avant coureurs de Vatican 2 n’avaient en apparence pas effleuré.
On se tourna vers l’église anglicane dont l’évêque Voegeli accueillit l’idée avec enthousiasme.
Se mirent alors au travail des hommes qu’on se serait davantage attendu à voir décharger des sacs de marchandise qu’à manier des pinceaux. Ces noms se sont déjà imposés parmi les grands noms de l’art mondial : Obin Bazile Benoit Bigaud, Leveque, Jasmin Joseph.
Parmi eux un jacmelien de 21 ans : Préfète Duffaut.
Préfète va avoir deux commandes : la Tentation du Christ et la Procession de la Croix.
Ces deux fresques, peintes avec du jaune d’œuf comme liant, et qui se trouvent Dieu seul sait dans quel état actuellement ne vont pas seulement constituer deux chefs d’œuvre
Elles vont complètement révolutionner l’écriture picturale
Prenons d’abord la Tentation du Christ.
Jouant sur les contraintes de l’ouverture de la fenêtre, Duffaut va avoir l’idée géniale de dresser l’une en face de l’autre les deux tours de la Cathédrale de sa ville de Jacmel.
Au dessus de chacune des tours, les deux forces primordiales de la création : jésus et Satan
Jésus est vêtu de la robe rouge d’Ogoun le dieu de la guerre. Le diable est en noir, les murs de là cathédrale en blanc, les couleurs sont d’une formidable intensité , en diapason avec celle du drame qui se joue, oui d’une intensité insoutenable , même lorsqu’on les compare à celles de l’autre jacmélien de Sainte Trinité, Castera Bazille.
Mais il y a plus : sur les murs de la cathédrale se trouvent des symboles étranges , issus d’on ne sait quel grimoire de conjurations : araignées , images d’embarcation d’autres carrément indefinisssslbes.
Jamais l’imagination ne s’était libérée avec une telle puissance.
Sur le mur d’en face une autre composition de Duffaut : la Procession de la Croix. La seule composition qui de prés ou de loin me rappelle l’œuvre de Duffaut est « L’Entrée du Christ à Bruxelles » d’Ensor.
Mais cette toile que Duffaut n’a évidemment pu avoir sous les yeux est loin d’avoir la puissance de celle du peintre jacmélien :
Cette dernière, même lorsqu’on l a compare aux autres œuvres de la Cathédrale Sainte Trinite, s’inscrit dans une logique de rupture.
Elle est la seule ou aucune mention n’est faite du sujet : dans la pièce en question, il n’est, du Christ et de son supplice, pas une trace
Il y a par contre autre chose, quelque chose de puissant , quelque chose qui explique tout :
La Route.
La route qui se tourne et qui se retourne
Sur la route les promeneurs et de chaque cote de la route, les points ou l’on s’arrête pour des motifs divers : il ya des boutiques le bureau de police, le télégraphe.
Et puis la route s’élève, et s’élève et s’approche du ciel. Au dessus , pour tous ceux qui connaissent ma ville , il y a le cimetière de Jacmel
Et de ce cimetière une vue de ce qui ceinture et qui explique notre ville : la mer.
Avec cette œuvre, un constructeur d’embarcations agrandit la thématique des arts plastiques d’un nouveau titre : celui des villes imaginaires
Oh oui ces villes : on les a vues et revues et encore vues
Elles prennent corps dans notre âme comme les murs de la Citadelle prennent corps dans notre sol, comme la voix prenante de ti Paris et le tambour d'Azor pr4nnent corps dans nos tripes.
Elles sont bien sur, comme on l’a dit sa ville , c'est-à-dire ma ville, Jacmel imprévisible Jacmel de tous les héroïsmes et de toues les douleurs, Jacmel a chaque instant ouvert sur la mer, mais elles sont également notre vie.
Parce que dans ces constructions qui défient les lois de l’équilibre, dans ces routes sans début ni fin, ces routes qui serpentent a l’infini, réveil de Damballah- Kundalini ou préfiguration du spiralisme que Franketienne nous donne comme la réponse dialectique a l’affrontement entre la ligne et le cercle, entre la progression et le statisme, a travers cette route qui ne s’arrête jamais, c’est nous , c’est notre Destinée qui est représentée dans un instantané saisissant de nos multiples moi, c’est l’expression saisissante de l’aphorisme de Patanjali : tout arrive en même temps, c’est la traque impitoyable de l’Etre a travers ses catégories identitaires, et puis…
Et puis enfin, et puis surtout, c’est la mise a nu, en nous , d’une puissance inimaginable de rêve et de tendresse.
Il aura fallu attendre Jacques Derrida et les post structuralistes pour nous entendre dire ce qu’ ici nous savions depuis longtemps : que l’œuvre d’art dessine le spectateur.
C’est vrai.
En nous laissant capter par le recourbement infini de ces rues et de ces ruelles, par l’éclat de la mer et la pureté immaculée du ciel, c’est un nouveau moi qui se découvre un moi plus en phase avec ce qui l’entoure, un moi plus libre et plus serein.
Ne nous y laissons pas tromper : si les constructions de Duffaut défient toutes les lois physiques, si la mer par moments semble plus haute que la terre et rejoint le ciel, à aucun moment tout cela ne nous choque.
C’est que celui qui savait construire des embarcations capables de résister a la fureur des flots sait comment mettre à jour d’autres embarcations, qui naviguent dans les méandres du rêve avec la même assurance que les autres se frayaient un chemin au sein des ouragans
C’est que – par delà l’apparente anarchie de la composition- il y a tout un jeu subtil d’équilibres, un maniement instinctif de la perspective chromatique qui s’opposant a la perspective linéaire emprisonne tout dans un espace fictif sans rapport avec l’espace réel, ( il s’agit de l’espace haïtien dont le Dr Lerebours a si heureusement dit la spécificité ) il y a , grâce au mouvement de la route , une multiplication des points de fuite, une superposition d’espaces , tout cela débouchant par le jeu d’audaces a la fois graphiques et chromatiques , a la mise en place de l’ un des univers les plus achevés de la peinture moderne
Cet univers, et le message qu’il porte : un message d’affranchissement de purification, sont l’un des legs les plus merveilleux qu’un artiste ait pu faire a son pays, et que notre pays au sein d’autres merveilles ait pu faire a l’Humanité
C’est pourquoi a cet homme a ce concitadin que j’ai connu toute mon existence, avec qui je travaille depuis quarante ans, avec lequel j’aurai réalisé une vingtaine d’interviews, je dis aujourd’hui ;
Dors de ton dernier sommeil, mon ami, mon frère, et en quelque sorte mon moi.
Dans un pays ravagé et humilié, entre droit dans l’histoire avec rayonnant autour de ta personne l’éclat resplendissant qui est celui de nos plus grands héros.
C’est désormais dans tout ce qui nous reste de toi : ton œuvre, qu’il nous faudra rechercher ce qui m’attirait le plus en toi : ce sourire de triomphe ce sourire merveilleux que seuls arborent les vainqueurs que seuls arborent les gagnants
Ton corps s’est peut être éteint un triste 6 octobre, mais nous savons tous que , tant qu’il y aura des âmes pour rêver et des cœurs pour contempler, subsistera quelque chose qu’aucune hémorragie cérébrale ne saurait éteindre :
La palpitation immense de ton art et de ton génie
Ce 12 octobre 2012-
Dr Frantz Large
Membre de ‘association internationale des critiques d’art
Vice président de l’Association Haïtienne en Histoire de l’Art et en Esthétique.
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