Tuesday, August 14, 2007

Plaintes et rêve d'un bracero haitien à Batey 8

Haiti-Rép. Dominicaine : Plaintes et rêve d'un bracero haitien à Batey 8

mardi 14 août 2007

Entrevue avec un bracero haïtien dans un batey de la République Dominicaine

Par Wooldy Edson Louidor

(Read the original here)

Barahona (Rép. Dominicaine), 13 août 07 [AlterPresse] --- Tito est un bracero (coupeur de canne) haïtien, qui travaille au Batey 8, situé non loin de Barahona (dans le sud-ouest de la République dominicaine).

Agé de 39 ans et originaire de Thomaseau (Ouest d'Haiti), Tito révèle les conditions de travail des braceros haïtiens, ainsi que les difficultés, les abus et les frustrations auxquels ces travailleurs sont confrontés quotidiennement.

Cet homme, qui a vécu et travaillé pendant 17 ans au Batey 8, transmet aussi l'espoir, longtemps caressé par "la diaspora des bateys", de vivre et d'être traités, un jour, avec dignité.

AlterPresse : Tito, pourquoi as-tu décidé de venir ici en République Dominicaine et d'y rester ?

Tito : J'ai laissé mon pays Haïti depuis 1980. Ce n'est pas la faim qui m'a poussé à venir ici en République Dominicaine. J'étais très jeune ; des amis à Thomazo, ma ville natale, m'ont conseillé de venir ici pour connaître un autre pays et pour acquérir de nouvelles expériences.

Par la suite, j'ai rencontré au Batey 8 une femme dominicaine d'origine haïtienne, qui m'a donné huit (8) enfants et avec laquelle je me suis marié. Puisque ma femme et moi, nous n'avons personne ici qui pourrait nous aider avec nos enfants, j'ai été obligé de prendre ma machette et de couper de la canne-à-sucre sous un soleil de plomb, tous les jours, du lundi au samedi, pour pourvoir aux besoins de ma famille.

Vous savez qu'il n'y a pas d'emploi en Haïti et, en plus, mes parents qui vivent là bas ne sont pas en mesure de m'aider. Donc, j'ai été contraint de rester ici en République Dominicaine en acceptant, à contrecœur, de vendre ma force de travail presque gratuitement et de recevoir, en échange, des humiliations et un salaire de misère.

Apr : Quel est ton horaire de travail ?

Tito : Nous autres, les braceros, nous travaillons de 6 heures a.m. à 7 heures p.m. et parfois jusqu'à 8 heures du soir. Dès l'aube nous nous rendons à pied sur les plantations sucrières, et nous revenons chez nous à la tombée de la nuit. Nous observons une seule pause à midi, au cours de laquelle la Compagnie "Consorcio azucarero central" (en français, Consortium sucrier central), pour laquelle nous travaillons, nous donne un peu de nourriture, insuffisante pour assouvir notre faim. Mais, puisque nous n'avons pas d'alternative, nous acceptons cette nourriture afin d'apaiser notre faim, en attendant qu'on prenne un bon souper à notre retour chez nous.

Apr : Combien on te paie ?

Tito : En dépit du travail très dur que nous réalisons, les responsables de la Compagnie nous paient très mal : parfois ils nous donnent entre 500 et 600 pesos dominicains pour le travail effectué pendant la semaine (du lundi au samedi), tandis qu'ils devraient nous payer 1 200 pesos et même un peu plus. Au contraire, ils se plaignent en disant que nous n'avions pas travaillé suffisamment au cours de la semaine et que nous ne méritons pas un salaire de 1 200 pesos, en prenant comme prétexte le rapport que les pesadores (ceux qui pèsent le nombre de tonnes de canne coupée) leur ont fait parvenir. Avec ce salaire, nos enfants et nos femmes ne peuvent vivre ; ils connaissent des conditions de vie très difficiles sur le territoire dominicain…

Quand nous protestons contre cette injustice, ces responsables nous repoussent en nous enjoignant de ne pas élever la voix. Généralement, les autres braceros ne se solidarisent pas avec la cause que nous défendons, surtout les migrants communément appelés "congos", c'est-à-dire ceux qui viennent d'arriver aux bateys. Ils acceptent de travailler pour n'importe quel salaire, aussi dérisoire qu'il soit ; et si on ne les rémunère pas, ils ne disent rien.

Autrefois, quand les plantations sucrières appartenaient à l'État dominicain, il existait des syndicats qui défendaient les braceros ; en outre, le Consulat haïtien à Barahona envoyait ses agents visiter les bateys pour voir les conditions de vie et de travail des Haïtiens. Tout récemment, on vient d'expulser le père Pedro Ruquoy qui était notre seul défenseur. Depuis lors, nous nous trouvons seuls, comme des orphelins, face aux pesadores et aux responsables du Consortium sucrier.

Apr : Comment tu te sens dans le travail ?

Tito : En fait, dans le travail, les pesadores, qui sont aussi des superviseurs et dont la majorité sont des Haïtiens, nous traitent comme des animaux. On paie les pesadores très bien, avec bonus et assurance de santé, eux qui, pourtant, ne font rien et qui passent tout le temps dans les plantations à dormir et à raconter des blagues. Cependant, le peu d'argent qu'on nous paie, nous qui travaillons réellement, ne suffit même pas à donner à manger à nos familles, voire envoyer les enfants à l'école ou à l'hôpital…

Les pesadores nous font savoir que si nous valions quelque chose, nous ne serions pas venus vivre et travailler ici dans un batey. Nous nous sentons vraiment humiliés et sans défense.

Apr : Quel est le message que vous aimeriez envoyer à vos compatriotes en Haïti ?

Tito : J'aimerais que l'actuel gouvernement haïtien parle avec les autorités dominicaines pour leur demander de traiter les braceros haïtiens comme des êtres humains, en appréciant et récompensant notre travail à sa juste valeur et en nous offrant des conditions de vie et de travail dignes.

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